Ali Belhadj, un des deux leaders de l'ex-FIS, lors d'une manifestation à Alger, le 12 février 2011. REUTERS/Louafi Larbi
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Tout ça pour ça… En Algérie, le pouvoir —du moins l’une de ses branches proche du président Abdelaziz Bouteflika— envisage de permettre le retour en politique des militants de l’ex-Front islamique du salut (FIS) après près de vingt années d’interdiction. Commençons par un petit retour en arrière pour comprendre l’ampleur et la portée à la fois symbolique, politique et émotionnelle d’un tel événement.
Le 26 décembre 1991, le FIS, qui dirige déjà la majorité des municipales depuis juin 1990, obtient la majorité presque absolue dès le premier tour des premières élections législatives pluralistes, les premières organisées depuis l’indépendance. Le score est sans appel: 188 sièges pour le parti islamiste, 25 pour le Front des forces socialistes de Hocine Aït-Ahmed et 16 pour le Front de libération national (FLN), parti unique jusqu’en 1989, date de l’adoption d’une Constitution qui consacre le multipartisme.
En Algérie comme ailleurs, le choc est immense. Pour le second tour, le FIS est en mesure de rafler la majorité absolue, ce qui lui permettrait de réviser la Constitution voire de proclamer une nouvelle République —islamique bien entendu. Tout va alors très vite. Des personnalités politiques, parmi lesquelles Saïd Sadi du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) mais aussi des membres de la société civile et des intellectuels (nombre d’entre eux seront assassinés par la suite) en appellent à l’armée pour «sauver l’Algérie».
Le 11 janvier 1992, les généraux «démissionnent» le président Chadli Bendjedid suspecté de s’accommoder d’une victoire du parti religieux. Le scrutin est annulé, le second tour n’aura jamais lieu et l’Algérie va entrer dans la pire période de son histoire depuis 1962.
Très vite, les violences ensanglantent le pays. Le 9 février de la même année, l’état d’urgence est proclamé —il ne sera levé que le 24 février 2011! Le 4 mars, le FIS est dissout par le tribunal administratif d’Alger. Nombre de ses militants sont arrêtés et envoyés sans jugement dans des camps au Sahara. D’autres passent dans la clandestinité et rejoignent les maquis et les groupes armés déjà existants.
De 1992 à 2000, date généralement admise pour désigner la fin de la guerre civile algérienne, les affrontements vont faire entre 150.000 et 200.000 morts et près de 14 milliards d’euros de dégâts matériels. Depuis 1992, le courant représenté par le FIS, ses militants et ses dirigeants sont exclus de la vie politique, même si certains bénéficient d’une amnistie à l’occasion de la Concorde civile voulue par le président Abdelaziz Bouteflika en 1999 et la Charte de réconciliation nationale de 2005.
Aujourd’hui, le gouvernement algérien envisage donc d’amnistier près de 7.000 prisonniers ayant appartenu au FIS et négocie la réintroduction de ce parti dans la vie politique. Les discussions sont menées d’un côté par Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN et proche du mouvement islamiste (il fait partie de ceux que l’on appelle les barbo-FLN) et, de l’autre, par les chouyoukhs Abdelfattah Zeraoui Hamadache et Hachemi Sahnouni, l’un des fondateurs du FIS.
Selon le haut responsable interrogé par SlateAfrique, l’autre grand axe des négociations concerne la possibilité «que les futurs amnistiés recouvrent leurs droits civiques et puissent se regrouper en parti politique.» Cela signifie-t-il que l’ex-FIS va être réhabilité? L’intéressé ne livre pas de réponse. Il est vrai que cette perspective indigne nombre d’Algériens, à commencer par les familles des victimes d’actes terroristes et tous ceux qui ne pardonneront jamais au parti religieux d’avoir entraîné le pays dans une terrible violence.
En réalité, ce qui se joue dans cette affaire témoigne du blocage politique de l’Algérie. Vingt ans après les élections de décembre 1991, le pays n’a guère avancé dans la voie du pluralisme démocratique. Le pouvoir issu de l’indépendance reste accroché à ses privilèges, refuse tout partage et s’oppose à toute alternance.
Face à une mouvance démocratique qui demeure fragmentée mais cherche à réunifier en profitant de la dynamique du printemps arabe, les dirigeants algériens semblent tentés de ressortir une vieille recette qui consiste à lui opposer un parti religieux, réactionnaire et peu enclin à défendre la démocratie. Encore une fois, le pouvoir algérien pense qu’il va perdurer en jouant sur un équilibre fragile entre courants politiques antagonistes et en les manipulant pour mieux régner.
Une autre lecture consiste à dire que le pouvoir algérien semble enclin à tenter une expérience à la turque, où un parti islamiste gouverne depuis 2002 sous la surveillance d’une armée qui, quoi qu’on en pense, n’a certainement pas dit son dernier mot. Seul problème, l’ex-FIS n’a rien à voir avec l’AKP, voire même avec le parti tunisien d’Ennahda qui ont fait leur mue, notamment doctrinale, et qui n’entendent pas —pour le moment— remettre en cause les règles de la démocratie.
Akram Belkaïd
Le 26 décembre 1991, le FIS, qui dirige déjà la majorité des municipales depuis juin 1990, obtient la majorité presque absolue dès le premier tour des premières élections législatives pluralistes, les premières organisées depuis l’indépendance. Le score est sans appel: 188 sièges pour le parti islamiste, 25 pour le Front des forces socialistes de Hocine Aït-Ahmed et 16 pour le Front de libération national (FLN), parti unique jusqu’en 1989, date de l’adoption d’une Constitution qui consacre le multipartisme.
En Algérie comme ailleurs, le choc est immense. Pour le second tour, le FIS est en mesure de rafler la majorité absolue, ce qui lui permettrait de réviser la Constitution voire de proclamer une nouvelle République —islamique bien entendu. Tout va alors très vite. Des personnalités politiques, parmi lesquelles Saïd Sadi du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) mais aussi des membres de la société civile et des intellectuels (nombre d’entre eux seront assassinés par la suite) en appellent à l’armée pour «sauver l’Algérie».
Le 11 janvier 1992, les généraux «démissionnent» le président Chadli Bendjedid suspecté de s’accommoder d’une victoire du parti religieux. Le scrutin est annulé, le second tour n’aura jamais lieu et l’Algérie va entrer dans la pire période de son histoire depuis 1962.
Très vite, les violences ensanglantent le pays. Le 9 février de la même année, l’état d’urgence est proclamé —il ne sera levé que le 24 février 2011! Le 4 mars, le FIS est dissout par le tribunal administratif d’Alger. Nombre de ses militants sont arrêtés et envoyés sans jugement dans des camps au Sahara. D’autres passent dans la clandestinité et rejoignent les maquis et les groupes armés déjà existants.
De 1992 à 2000, date généralement admise pour désigner la fin de la guerre civile algérienne, les affrontements vont faire entre 150.000 et 200.000 morts et près de 14 milliards d’euros de dégâts matériels. Depuis 1992, le courant représenté par le FIS, ses militants et ses dirigeants sont exclus de la vie politique, même si certains bénéficient d’une amnistie à l’occasion de la Concorde civile voulue par le président Abdelaziz Bouteflika en 1999 et la Charte de réconciliation nationale de 2005.
Aujourd’hui, le gouvernement algérien envisage donc d’amnistier près de 7.000 prisonniers ayant appartenu au FIS et négocie la réintroduction de ce parti dans la vie politique. Les discussions sont menées d’un côté par Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN et proche du mouvement islamiste (il fait partie de ceux que l’on appelle les barbo-FLN) et, de l’autre, par les chouyoukhs Abdelfattah Zeraoui Hamadache et Hachemi Sahnouni, l’un des fondateurs du FIS.
«Les discussions tournent autour de plusieurs points, confie un haut responsable algérien qui souhaite conserver l’anonymat. D’abord, la liste des personnes dont l’amnistie devrait être annoncée à l’occasion de la fête de l’indépendance nationale, le 5 juillet prochain.»
Les Algériens divisés
A priori, les membres du Groupe islamique armé (GIA, créé en juin 1992) ou du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, créé en février 1998) dont une branche est devenue al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI, 2006) impliqués dans des attentats et des massacres collectifs devraient être exclus de cette amnistie. Toutefois, les négociations portent sur des noms emblématiques de l’ex-FIS tel qu’Anouar Haddam, exilé à l’étranger dès janvier 1992. Des responsables de groupes armés sont aussi concernés, à l’image de Abdelrazak, dit «el-Para», l’un des chefs du GSPC, qui pourrait lui aussi être absout.Selon le haut responsable interrogé par SlateAfrique, l’autre grand axe des négociations concerne la possibilité «que les futurs amnistiés recouvrent leurs droits civiques et puissent se regrouper en parti politique.» Cela signifie-t-il que l’ex-FIS va être réhabilité? L’intéressé ne livre pas de réponse. Il est vrai que cette perspective indigne nombre d’Algériens, à commencer par les familles des victimes d’actes terroristes et tous ceux qui ne pardonneront jamais au parti religieux d’avoir entraîné le pays dans une terrible violence.
Bouteflika s'accroche
Pour autant, «rien n’empêche que l’ex-FIS fasse sa réapparition sous un nouveau label où le mot "islamique" aura disparu, pour respecter la Constitution», relève un ancien ministre qui rappelle tout de même que le pouvoir algérien est divisé sur cette question et que les négociations ont lieu sans que le Premier ministre Ahmed Ouyahia soit associé.En réalité, ce qui se joue dans cette affaire témoigne du blocage politique de l’Algérie. Vingt ans après les élections de décembre 1991, le pays n’a guère avancé dans la voie du pluralisme démocratique. Le pouvoir issu de l’indépendance reste accroché à ses privilèges, refuse tout partage et s’oppose à toute alternance.
Face à une mouvance démocratique qui demeure fragmentée mais cherche à réunifier en profitant de la dynamique du printemps arabe, les dirigeants algériens semblent tentés de ressortir une vieille recette qui consiste à lui opposer un parti religieux, réactionnaire et peu enclin à défendre la démocratie. Encore une fois, le pouvoir algérien pense qu’il va perdurer en jouant sur un équilibre fragile entre courants politiques antagonistes et en les manipulant pour mieux régner.
Une autre lecture consiste à dire que le pouvoir algérien semble enclin à tenter une expérience à la turque, où un parti islamiste gouverne depuis 2002 sous la surveillance d’une armée qui, quoi qu’on en pense, n’a certainement pas dit son dernier mot. Seul problème, l’ex-FIS n’a rien à voir avec l’AKP, voire même avec le parti tunisien d’Ennahda qui ont fait leur mue, notamment doctrinale, et qui n’entendent pas —pour le moment— remettre en cause les règles de la démocratie.
Akram Belkaïd
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