mardi 24 mai 2011

« Négrophobie » : la dénonciation dont on ne veut pas



Expulsés de la commémoration parisienne de l'abolition de l'esclavage, des militants contre le racisme anti-Noirs portent plainte.

La commémoration de l'abolition de l'esclavage est une cérémonie où il ne faut pas faire de vagues ; pour Nicolas Sarkozy, ce jour, qu'il veut populaire, est l'occasion de tenter de rallier les Noirs de France.
Cette année, le Comité pour la mémoire de l'esclavage (CPMHE), émanation du gouvernement institué par décret en 2009, avait même plaidé pour des invitations élargies. Raté : « populaire » ne veut pas forcément dire ouvert.
Ce 10 mai, huit membres du Collectif antinégrophobie – émanation de l'Alliance noire citoyenne (ANC) –, en possession de cartons d'invitation, se présentent à la cérémonie parisienne avec des T-shirts portant l'inscription « Brigade antinégrophobie », dénonçant le racisme anti-Noirs.
Expulsés manu militari ce jour, ils ont manifesté ce lundi devant le Sénat, contre le traitement abusif qu'ils estiment avoir subi. (Voir la vidéo)

« Encagez-les, on les expulse ! »

Ce 10 mai, au Jardin du Luxembourg (VIe arrondissement de Paris), la réaction du service de sécurité ne se fait pas attendre à l'arrivée du petit groupe. Les forces de police se joignent vite à l'attroupement, et deux ordres contradictoires sont émis. Dans un premier temps, les militants peuvent rester sur place :
« Enlevez vos T-shirts si vous voulez rester. »
Une exigence à laquelle les membres du collectif se plient, lorsque un contre-ordre intervient :
« Encagez-les, on les expulse ! » (Voir la vidéo)

Un CRS : « Je ne comprends pas pourquoi on vous arrête »

Manone Cadoret, militant de l'ANC et du Collectif antinégrophobie, faisait partie des expulsés. Il raconte sa version de ce qui a suivi l'arrestation, et qu'on ne voit pas dans la vidéo :
« Au seuil de la porte, j'ai été menotté et maintenu au sol par deux CRS [qui prennent le relais de la police, ndlr].
Et là, l'un d'eux me dit : “Je comprends pas pourquoi on vous arrête, vous avez juste des T-shirts”. »
Embarqués dans un bus, ils partent en direction du commissariat du Ve arrondissement de Paris :
« On est restés dans le car pendant une heure sans savoir pourquoi. Puis un policier est rentré, a annoncé que la cérémonie était terminée et on a été libérés. Juridiquement, on n'était pas en garde à vue, aucun papier ne prouve notre détention.
Légalement, on n'était nulle part. »

« L'antiracisme ne saurait être une opinion politique »

La préfecture de police de Paris refuse de communiquer sur les conditions de cette arrestation et de cette détention. Pour François Durpaire, qui précise qu'il ne s'exprime pas au nom du CPMHE dont il est membre :
« Il semble qu'on ait retenu les personnes en question sans qu'il y ait mise en garde à vue. Je m'interroge sur le cadre légal de cette démarche. »
Ce dernier était présent lors du retour des militants au Jardin, une fois la cérémonie terminée. Il intervient alors que les expulsés parlementent avec une personne de l'Elysée qui les exhorte, de nouveau, à enlever leur T-shirts ou partir :
« J'ai demandé en quoi l'inscription “Brigade antinégrophobie” constituait une sortie du cadre de la neutralité.
L'antiracisme ne saurait être une opinion politique. Elle n'est même pas un acte de militantisme au sens strict du terme. C'est juste le rappel de la loi française. »

« Il fallait aussi interdire le discours du chef de l'Etat »

Frédéric Lazorthes est secrétaire général du CPMHE. Il fait appel au protocole et aussi à une attitude digne :
« C'est une cérémonie officielle à laquelle il fallait venir neutre et sans signe distinctif. Les consignes avaient été passées. Ce n'était pas le lieu, ni le moment. Tout le monde a respecté ça, sauf cette association. »
De son côté, François Durpaire ironise :
« Selon moi, il n'y avait pas de problème de neutralité. Je ne vois absolument pas comment on peut interdire des T-shirts sur l'antiracisme alors même que c'est l'objet de la cérémonie.
Dans ce cas là, il fallait aussi interdire le discours du chef de l'Etat qui est sorti de sa neutralité en parlant d'antiracisme. »
Franco, le président de l'ANC, dénonce « la montée d'un racisme institutionnel ». Il voit une « stratégie française visant à noyer les différentes formes de racisme dans un terme générique ». Comme il l'a rappelé lors de son discours devant le Sénat :
« Si on dénonce la négrophobie c'est que cette forme de racisme a une histoire, un cheminement particulier auxquels on ne peut pas apporter un remède générique. »

Une plainte contre X « pour que ces traitements cessent »

Un point de vue partagé par François Durpaire, également historien et spécialiste des questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France :
« Lutter contre une forme particulière de discrimination est tout aussi légitime que de se battre contre le racisme en général.
Et pourquoi la lutte antinégrophobie serait interdite, alors que la lutte contre l'antisémitisme ou contre les violences faites aux femmes ne fait l'objet d'aucune critique ? »
L'Alliance noire citoyenne a déposé vendredi une plainte contre X. Franco l'explique ainsi :
« Nous voulons être sûrs de n'oublier personne. Une plainte contre X nous permet d'attaquer large et de resserrer ensuite sur les personnes qui se sont rendues responsables de notre traitement. »
Pas sûr, en raison du manque de preuves matérielles, que cette plainte aboutisse. Mais l'ANC invite toutes les personnes victimes d'injustice à les porter devant la justice « pour que ces traitements cessent ».

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