vendredi 18 janvier 2013

« Il faut distinguer les terroristes des indépendantistes touaregs »

« Il faut distinguer les terroristes des indépendantistes touaregs »

l’humanité
vendredi 18 janvier 2013
Pierre Boilley, directeur du Centre d’étude des mondes africains, estime nécessaire de réduire les écarts de développement entre nord et sud du Mali et une négociation doit aboutir à une autonomie du nord du pays.
D’où provient le Mouvement national de libération 
de l’Azawad (MNLA), 
le groupe touareg qui 
a lancé l’offensive au nord du Mali, en janvier 2012, avant d’être évincé par les djihadistes ?
Pierre Boilley. Il est le fruit d’une longue histoire. Sous domination coloniale, le nord et le sud du Soudan français (nom du Mali avant l’indépendance – NDLR) ont été traités de manière différente : une administration indirecte au nord et très directe au sud. Considéré comme peu utile, le Nord a été peu développé. À l’indépendance, le fossé s’est creusé par la volonté du président Modibo Keïta d’appliquer une politique socialiste, qui passait par la casse de la féodalité et des chefferies. C’est là qu’a débuté une première rébellion, durement réprimée en 1963 et 1964.
Le Nord a été placé sous une chape de plomb. Avec la sécheresse des années 1980 et 1990, de nombreux jeunes ont émigré vers l’Algérie et la Libye pour trouver du travail. Mouammar Kadhafi en a utilisé certains comme soldats. C’est dans ce contexte que s’est organisé le mouvement rebelle des années 1990. Cette révolte a abouti à des accords, notamment celui du pacte national en 1992, qui n’a été que partiellement appliqué. Les combattants ont été intégrés dans l’armée. Une ouverture politique a été conduite sous la forme d’une décentralisation. Toutefois, le développement a été le parent pauvre de cet accord, nourrissant une désillusion et d’autres rébellions. Le MNLA s’est créé sur l’idée d’une rupture avec le Mali. Cela a été possible avec le retour de centaines de Touaregs et Maures armés, suite à la guerre de Libye. Du 17 janvier au 1er avril 2012, une offensive éclair du MNLA a bouté hors du Nord l’armée malienne. Mais ensuite al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), le Mujao et Ansar Eddine l’ont évincé des villes. L’offensive militaire française est conduite contre les islamistes qui risquaient de prendre Bamako. Il faut continuer de distinguer les salafistes et les indépendantistes revenus à des positions autonomistes.
Comment a-t-on basculé 
d’une rébellion touarègue à une insurrection djihadiste  ?
Pierre Boilley. En laissant s’installer le trafic de drogue et le Groupe salafiste de prédication et de combat (GSPC) devenu Aqmi, qui ne comptait au départ que quelques dizaines de combattants, l’État malien et son président Amadou Toumani Touré endossent une forte responsabilité. Un modus vivendi a été établi entre Aqmi et le pouvoir. Lorsque le MNLA s’est lancé dans l’insurrection, ils se sont dit qu’ils s’occuperaient d’Aqmi plus tard. Le basculement s’est opéré à la fin de la conquête du Nord par le MNLA, quand Aqmi et les salafistes se sont mis en branle.
Existe-t-il une porosité entre MNLA, Ansar Eddine et Aqmi  ?
Pierre Boilley. Il y en a une entre les mouvements islamistes Mujao, Aqmi et Ansar Eddine, qui ont eu des contacts entre eux. Ces groupes ont un point commun  : l’application de la charia. Ils ont beaucoup d’argent, leur permettant de donner des salaires à des jeunes combattants, débauchant parfois ainsi des combattants du MNLA.
Le pacte national n’a pas été appliqué. Un nouvel accord est-il susceptible de l’être  ?

Pierre Boilley. Je l’espère. Cette guerre permettra peut-être d’éliminer les salafistes. Mais elle ne doit pas conduire à des massacres de civils, ou des vengeances de la part de l’armée malienne. Une négociation doit aboutir à une autonomie et un développement du nord du pays. Si elle n’advient pas, on risque de retourner à une situation comparable à celle de 2011, qui entraînera de nouvelles rébellions.
La volonté d’autonomie 
des Touaregs, minoritaires au nord du Mali, est-elle partagée  ?

Pierre Boilley. La population est en effet hétérogène, et même parmi les Touaregs il y a des différences. Mais toutes les populations s’accordent sur le problème de développement.
Les politiques libérales ont-elles conduit à un sous-développement du Nord  ?
Pierre Boilley. Oui. Les politiques d’ajustement structurel ont conduit à un manque d’investissement. Néanmoins, le développement a été plus fort au sud qu’au nord. La guerre actuelle coûte très cher. On aurait mieux fait de mettre cet argent, ces dernières années, dans le traçage de routes, le creusement de puits, la construction d’infrastructures, la mise en place d’industries.
l’humanité
vendredi 18 janvier 2013
Pierre Boilley, directeur du Centre d’étude des mondes africains, estime nécessaire de réduire les écarts de développement entre nord et sud du Mali et une négociation doit aboutir à une autonomie du nord du pays.
D’où provient le Mouvement national de libération 
de l’Azawad (MNLA), 
le groupe touareg qui 
a lancé l’offensive au nord du Mali, en janvier 2012, avant d’être évincé par les djihadistes ?
Pierre Boilley. Il est le fruit d’une longue histoire. Sous domination coloniale, le nord et le sud du Soudan français (nom du Mali avant l’indépendance – NDLR) ont été traités de manière différente : une administration indirecte au nord et très directe au sud. Considéré comme peu utile, le Nord a été peu développé. À l’indépendance, le fossé s’est creusé par la volonté du président Modibo Keïta d’appliquer une politique socialiste, qui passait par la casse de la féodalité et des chefferies. C’est là qu’a débuté une première rébellion, durement réprimée en 1963 et 1964.
Le Nord a été placé sous une chape de plomb. Avec la sécheresse des années 1980 et 1990, de nombreux jeunes ont émigré vers l’Algérie et la Libye pour trouver du travail. Mouammar Kadhafi en a utilisé certains comme soldats. C’est dans ce contexte que s’est organisé le mouvement rebelle des années 1990. Cette révolte a abouti à des accords, notamment celui du pacte national en 1992, qui n’a été que partiellement appliqué. Les combattants ont été intégrés dans l’armée. Une ouverture politique a été conduite sous la forme d’une décentralisation. Toutefois, le développement a été le parent pauvre de cet accord, nourrissant une désillusion et d’autres rébellions. Le MNLA s’est créé sur l’idée d’une rupture avec le Mali. Cela a été possible avec le retour de centaines de Touaregs et Maures armés, suite à la guerre de Libye. Du 17 janvier au 1er avril 2012, une offensive éclair du MNLA a bouté hors du Nord l’armée malienne. Mais ensuite al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), le Mujao et Ansar Eddine l’ont évincé des villes. L’offensive militaire française est conduite contre les islamistes qui risquaient de prendre Bamako. Il faut continuer de distinguer les salafistes et les indépendantistes revenus à des positions autonomistes.
Comment a-t-on basculé 
d’une rébellion touarègue à une insurrection djihadiste  ?
Pierre Boilley. En laissant s’installer le trafic de drogue et le Groupe salafiste de prédication et de combat (GSPC) devenu Aqmi, qui ne comptait au départ que quelques dizaines de combattants, l’État malien et son président Amadou Toumani Touré endossent une forte responsabilité. Un modus vivendi a été établi entre Aqmi et le pouvoir. Lorsque le MNLA s’est lancé dans l’insurrection, ils se sont dit qu’ils s’occuperaient d’Aqmi plus tard. Le basculement s’est opéré à la fin de la conquête du Nord par le MNLA, quand Aqmi et les salafistes se sont mis en branle.
Existe-t-il une porosité entre MNLA, Ansar Eddine et Aqmi  ?
Pierre Boilley. Il y en a une entre les mouvements islamistes Mujao, Aqmi et Ansar Eddine, qui ont eu des contacts entre eux. Ces groupes ont un point commun  : l’application de la charia. Ils ont beaucoup d’argent, leur permettant de donner des salaires à des jeunes combattants, débauchant parfois ainsi des combattants du MNLA.
Le pacte national n’a pas été appliqué. Un nouvel accord est-il susceptible de l’être  ?

Pierre Boilley. Je l’espère. Cette guerre permettra peut-être d’éliminer les salafistes. Mais elle ne doit pas conduire à des massacres de civils, ou des vengeances de la part de l’armée malienne. Une négociation doit aboutir à une autonomie et un développement du nord du pays. Si elle n’advient pas, on risque de retourner à une situation comparable à celle de 2011, qui entraînera de nouvelles rébellions.
La volonté d’autonomie 
des Touaregs, minoritaires au nord du Mali, est-elle partagée  ?

Pierre Boilley. La population est en effet hétérogène, et même parmi les Touaregs il y a des différences. Mais toutes les populations s’accordent sur le problème de développement.
Les politiques libérales ont-elles conduit à un sous-développement du Nord  ?
Pierre Boilley. Oui. Les politiques d’ajustement structurel ont conduit à un manque d’investissement. Néanmoins, le développement a été plus fort au sud qu’au nord. La guerre actuelle coûte très cher. On aurait mieux fait de mettre cet argent, ces dernières années, dans le traçage de routes, le creusement de puits, la construction d’infrastructures, la mise en place d’industries.

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